Signes physiques dans la dépression

19ème Journée de cochin - 2008

Dr Philippe NUSS

Psychiatre - Praticien hospitalier - Service de psychiatrie et de psychologie médicale - Pr CS PERETTI

Hôpital Saint-Antoine, UMRS 893 Université Pierre et Marie Curie - Paris 6

Les symptômes physiques chez le déprimé, en dépit de leur fréquence et de leur faible spécificité, sont intrigants. Certains commentateurs renversent d’un revers de la main toute idée de complexité : ils ne voient là rien d’autre que les manifestations d’une dépression masquée ou (selon une autre école de référence) la cristallisation dans le corps d’une dépression que la personne déprimée ne s’avoue pas volontiers. D’autres, au contraire indiquent que la présence de manifestations somatiques dans la dépression est un signe de gravité. C’est exact, mais uniquement si la dépression est, par ailleurs, sévère. En effet, une dépression d’intensité moyenne mais avec anxiété peut aussi présenter des manifestations somatiques. D’autres encore affirment que ces symptômes somatoformes sont surtout inquiétants dans les formes résiduelles de dépression. En effet, dans les nombreux cas où les tableaux dépressifs sont insuffisamment traités, il persiste des symptômes dits résiduels qui font le lit de la rechute. Parmi ces derniers, les symptômes somatiques sont associés à un risque élevé de rechute ou de récidive.

La complexité et l’ambiguïté du statut du symptôme somatique dans la dépression résident d’une part dans le fait qu’on imagine trop souvent la dépression comme touchant exclusivement l’humeur ; on assimile d’autre part somatique et douloureux. Or, la dépression est une pathologie qui touche non seulement l’humeur mais aussi la cognition, les grandes fonctions de la vie comme l’appétit, le sommeil, la sexualité mais aussi modifie le fonctionnement des organes (ainsi que leur perception). De même, la douleur est souvent confondue avec plainte. D’un côté on simplifie la dépression et on sous-estime l’étendue de ses ramifications, d’un autre, on a tendance à considérer les symptômes algiques sans cause organique comme des plaintes, celle d’un mal-être psychologique.

Comme on le verra, le corps ressenti dans la dépression peut constituer un symptôme intrinsèque à la dépression, c’est-à-dire que le symptôme physique (le plus souvent algique) dans la dépression est, dans bien des cas, un symptôme propre à la dépression et pas l’expression de l’anxiété ou du mal-être. Il est vrai aussi que, dans certains cas, la douleur est le mot que le patient appréhende comme étant le plus susceptible de traduire l’indicible de sa douleur morale, de son désarroi cognitif, de son inconfort existentiel. Il n’est pas faux non plus que certaines manifestations physiques comme la gêne respiratoire ou la fameuse « boule dans la gorge » expriment l’anxiété très fréquemment associée à la dépression. Le plus souvent ces trois explications sont présentes à des degrés divers chez un même malade.

Dans tous les cas, somatisation ou pas, on retrouve, si on les cherche, les symptômes cardinaux de la dépression lorsqu’elle existe. Bien souvent, ils sont intriqués avec l’histoire du malade qui les décrit soit comme conséquence des évènements de sa vie, les intrique avec sa personnalité. Il convient donc de réaliser un examen clinique psychiatrique aussi rigoureux qu’exhaustif à la recherche des signes de dépression. Une fois ces derniers identifiés, il est alors temps de les pondérer par rapport aux évènements de vie du patient, de sa personnalité, de ses antécédents et de tenter de les assembler au sein d’un modèle explicatif tant psychologique que biologique.

Au total, les manifestations somatiques chez le déprimé sont fréquentes. Dans certains cas, elles sont soit au premier plan du tableau soit mises en avant, notamment lorsqu’elles s’adressent à l’omnipraticien. Leur prise en charge est celle de la dépression. Il conviendra d’être particulièrement attentif à leur disparition lors de la résolution de l’épisode dépressif car elles sont fortement associées à la rechute et/ou la récidive. Un suivi psychothérapeutique est alors optimal.